Cette année, Rutschebanen à Tivoli Gardens fête ses 105 bougies. Ce qui en fait la plus ancienne montagne russe d’Europe encore en fonctionnement, rien que ça ! Récit d’une attraction emblématique qui a connu quelques insolites péripéties…

Aux commandes, un précurseur des montagnes russes

Ouvert en 1914, Rutschebanen est le fruit d’une collaboration entre un ingénieur, Valdemar Lebech – qui a conçu le tracé – et le constructeur LA Thompson Scenic Railway Company. Cette dernière a joué un rôle précurseur dans la genèse des montagnes russes modernes sous l’impulsion de son éponyme fondateur, La Marcus Adna Thompson. Le menuiser devenu homme d’affaires a déposé près de 30 brevets dans le domaine ! On lui doit ainsi l’invention du « Switchback Railway » en 1884, un parcours à va-et-vient d’une simplicité élémentaire mais qui contribua largement à la popularité des Roller Coasters en Amérique.

Switchback Railway à Coney Island

Switchback Railway à Coney Island, avec ses trains originaux.

Ce premier coup d’éclat attire vite la concurrence. Pour se démarquer, La Marcus Thompson a alors l’idée d’ajouter des éléments de décor (le plus souvent des tunnels et des façades peintes) pour donner aux passagers l’illusion de paysages lointains et divertissants. Les « Scenic Railways » rencontrent également un vif succès auprès du public, et le concept s’exporte alors au-delà des frontières américaines.

Scenic Railway californien

Les décors du Scenic Railway californien, à Venice, furent considérés comme parmi les plus aboutis du genre.

Un « side-friction » rescapé

Rutschebanen

Des passagers en station de Rutschebanen, 1930.

C’est au cœur de Copenhague que l’entrepreneur trouve un nouveau terrain de jeu. La Marcus Thompson imagine un décor montagneux pour Rutschebanen qui propose un parcours ponctué de nombreuses bosses et de passages dans le noir.

Ruschebanen

L’ascension vers le sommet de Ruschebanen par un lift… à cable !

Mais surtout, l’attraction possède des caractéristiques techniques insolites, vestiges des premiers balbutiements de l’industrie. Techniquement parlant, il s’agit d’une montagne russe de type side-friction – sa construction précède de quelques années l’invention des up-stop wheels (NDLR : les roues en-dessous des rails qui permettent au trains de ne pas décoller). Ainsi, les trains de Rutschebanen ne sont retenus sur les rails que grâce à la seule gravité ! Mais rassurez vous, le point culminant du coaster atteint un modeste total de 12 mètres

Rutschebanen

Un opérateur de Rutschebanen à son poste !

Plus surprenant encore, la vitesse durant un tour est régulée grâce un… employé à bord ! Rutschebanen est en effet un des rares exemples de montagne russe avec freinage manuel. Au début d’une saison, chaque nouvel opérateur reçoit une formation approfondie auprès d’un employé chevronné. Alexander Poulsen, administrateur de Coaster Club Denmark, nous en explique le déroulement :

« Le futur opérateur démarre son apprentissage seul avec son formateur, assis juste devant lui dans le train. Lorsque l’ancien et le novice sont d’accord, quelques passagers sont autorisés à monter, et sont informés qu’un apprenti est aux manettes. Comme cela, celui-ci apprécie d’abord le comportement du train à vide, puis avec quelques passagers à bord, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’en fin de journée, il manie la vitesse d’un train au complet. »
(Alexander Poulsen, Coaster Club Denmark)

La formation prend également en compte certaines variables, comme les caprices de la météo. La plupart des opérateurs affirment qu’il leur faut environ une année pour connaître le maniement de Rutschebanen sur le bout des doigts !

Une histoire pour le moins… mouvementée !

Vue depuis le sommet de l’attraction – sans pics montagneux – en 1969.

Curiosité étonnante, le décor montagneux habillant l’attraction à son ouverture n’a connu qu’une brève existence. Le conseil municipal de Copenhague dans les années 1920 jugeait que ces crêtes artificielles détonnaient avec la skyline générale de la ville. Il fut décidé d’amputer Rutschebanen de ses sommets enneigés, ne restant alors que la base des montagnes comme thématisation. C’est ainsi que fonctionna la montagne russe pendant la grande majorité de son histoire.

 

Les dégâts considérables causés par le sabotage de Novembre 1944.

Une vingtaine d’années plus tard, l’attraction subit une mésaventure autrement plus brutale. Durant l’occupation allemande du pays pendant la Seconde Guerre mondiale, Tivoli Gardens fut victime d’une explosion provoquée par des sympathisants pro-nazis nommés Petergruppen ! Gravement endommagée, la structure de Rutschebanen fut pourtant rapidement remise en place par le parc et l’attraction ré-ouvrit moins d’un mois plus tard – signe de défiance face à l’occupant…

Le même point de vue en 1969 – comme si de rien n’était ! (Source : EVP Danemark)

En 2014, Rutschebanen retrouve enfin son apparence initiale. Pour le centenaire de son attraction désormais emblématique, Tivoli restaure le cadre montagneux dans son ensemble. Un joli coup de pub, mais surtout un bel hommage pour célébrer l’occasion.

Concept-art du parc annonçant la restauration du coaster.

Et voilà le résultat final !

Préserver une partie intégrale du patrimoine danois

Sur les parties rénovées de l’attraction, on distingue facilement le bois neuf aux couleurs plus claires.

C’est grâce à un entretien soigneux que Rutschebanen connaît une telle longévité. On estime que chaque année,  entre 10 et 15% du bois qui compose l’attraction est remplacé. Le bois de sapin originel a depuis longtemps laissé place aux bois de chêne plus durable et résistant. La montagne russe centenaire reste encore l’attraction la plus populaire de Tivoli. Malgré son âge avancé, Rutschebanen continue de ravir les passagers avec son expérience unique : chaque opérateur a son propre style de freinage, et il est fort probable qu’un tour à bord ne ressemble à aucun autre !

Les opérateurs ont aussi le droit de s’amuser tous ensemble de temps en temps !

Philippe-Minh Nguyen
Février 2019
Sources photos : Jeffrey Stanton, Theme Park Insider, Ukendt, EVP Danemark, ElloCoaster, Avisen DK, Tivoli Gardens et Theme Park Review

Un grand merci à Alexander Poulsen pour ses précisions !
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