1995. Dans la tête de Christian Gros, maire de Monteux, germe un projet un peu démesuré : celui d’un éco-quartier qui prendrait vie autour d’un lac et d’activités de loisirs. Splashworld arrive en premier sur le site, en 2015. Cette année, après 3 saisons dont les performances ont été masquées par une gestion obscure, le parc fait peau neuve et devient Wave Island.
Septembre 2013. Dupuis annonce le développement d’un parc à thèmes consacré aux licences de comics de la maison d’édition (Gaston Lagaffe, Marsupilami, Lucky Luke…) et dont Spirou sera l’emblème.
3 Juillet 2017, le première pierre du parc est posée.
Le 1er Juin 2018, moins d’un an plus tard, le voici prêt à accueillir 700 invités pour une ouverture en avant-première. Que les choses sérieuses commencent…
Ce 1erJuin marque donc l’aboutissement d’une bataille de plus de 23 ans pour bon nombre d’acteurs économiques, politiques, ainsi que pour bon nombre de passionnés de bande dessinée.
Le parc a connu de nombreux rebondissements en ce qui concerne son offre. Les deux attractions sensationnelles du parc, notamment (un Star Shape Zierer et un Impulse du même constructeur) sont reportées. Son dirigeant, Daniel BULLIARD, directeur du Futuroscope de 1987 à 2000, n’a pendant longtemps pas perdu de vue son ambition : celle d’« accueillir 500 000 visiteurs lors de la première saison », puis « 1 million au bout de 7 ans », années durant lesquelles 35 millions d’euros supplémentaires seront investis en plus des 50 millions de la mise de départ. L’objectif est aujourd’hui revu à la baisse puisque dans une vidéo récente, le chiffre de 200 000 à 300 000 visiteurs est évoqué pour cette première saison, 500 000 correspondant à une année « normale ». Sur les 8 hectares que possède le parc, 4,5 sont aménagés aujourd’hui, ce qui laisse encore une belle marge de progression…
En ce 1erJuin 2018, nous voici donc enfin devant l’entrée du parc. Impitoyable, le soleil fait suinter les allées goudronnées d’un parking encore en plein travaux. L’arche blanche qui symbolise l’entée du parc est flambant neuve, la fresque est pimpante et une fois passés les portiques, nous voici sur la Main Street, prêts à découvrir les 12 attractions du parc.
Commençons par un mise au point importante : le parc que nous avons découvert ne peut pas être considéré comme le parc final. Les 3 dark-rides étaient en effet en cours de programmation, tandis que des éléments de décors manquaient à l’appel et que certaines façades nécessitaient un coup de peinture. Cela devrait être corrigé d’ici 15 jours, pour l’ouverture au public. La végétation mettra quant à elle quelques semaines avant de faire de l’ombre aux allées du parc. Malgré toute l’objectivité du monde, difficile en conséquence de donner un jugement définitif sur le Parc Spirou. Cela n’empêche pas pour autant d’en percevoir les grandes tendances.
L’organisation des allées est on ne peut plus classique, les éléments de thématisation limités : ils visent bien plus selon moi à faire appel à quelques souvenirs associés aux licences Spirou qu’à vous immerger dans des univers de toute façon trop différents et complexes à retranscrire avec un budget limité et dans un tel environnement. Les adultes se remémoreront des souvenirs qu’ils partageront aux enfants, ravis de découvrir des univers bienveillants et malicieux.
Tel une piste d’athlétisme de 400m, le parc s’organise autour d’un cercle central, sur lequel sont disséminées les attractions. Celles-ci proviennent de deux constructeurs : Zierer et Simworx (pour les 3 dark-rides).
Oui, il y a quelques fautes de goût notables, comme ce manège de chaises volantes, ou bien encore le bâtiment du dark-ride Immersive Tunnel de Simworx, qui, bien que difficile à intégrer, mériterait au moins un camouflage.
Mais n’oublions pas une chose : faire autant en si peu de temps (moins d’un an, pour rappel) relève d’un véritable exploit. Et dans l’offre d’attractions présentées, aucune ne semble hors sujet ou véritablement déplacée : l’appel à Zierer et Simworx garantit, dans leurs catégories, des réalisations de qualité. Les deux coasters de Zierer sont en effet fluides, le Spirou Racing (ESC 535), dont la structure impressionne pour un coaster familial, parvient même à fournir quelques G+ bien sentis.
Le second coaster du parc, Wanted by Lucky Luke
Mesozoik Island (Immersive Tunnel), observé depuis les côtés du véhicule pour cette inauguration en attendant son fonctionnement complet, semble plutôt réussi, même si le préshow ressemble pour l’instant à un hangar vide. Quelques feuillages, de la fumée et des bruits devraient faire monter la tension auprès des visiteurs qui attendront patiemment leur tour de jeep. Les autres attractions, familiales, remplissent parfaitement leur rôle sans être révolutionnaires.
Au fond, le constat est simple : on a trop attendu du Parc Spirou. Parce que cela faisait des années que l’on espérait un nouveau « vrai » parc français, on voulait croire en un autre projet gargantuesque, en quelque chose d’aussi insensé que l’étaient, à leur époques, Mirapolis, le Parc Asterix et Disneyland Paris. Mais ces époques sont révolues et l’on obtient à la place un projet mesuré, relativement précautionneux et qui a un potentiel de développement et d’amélioration qui se devra d’être exploité patiemment, sans précipitation.
Dans son état actuel, le Parc Spirou n’est pas fait pour faire rêver, mais pour divertir.
Une fois tous les dark-rides ouverts (et ce sont sûrement eux qui apporteront le gros de la valeur ajoutée du parc), au fond, le parc ne sera pas ridicule, si on le considère pour ce qu’il est : un parc à vocation régionale, qui va se développer pas à pas comme le laisse présager son financement (encore 35 millions d’euros d’investissement d’ici 2024).
Au-delà de l’offre d’attractions sur laquelle il est difficile d’arbitrer pour le moment, il est des points qui sont indéniablement réussis. Les opérateurs sont nombreux et très souriants (même si un peu stricts quant au retrait des lunettes sur les coasters, mais on leur pardonne ces excès de zèle de débutants). Le merchandising est diversifié et les boutiques bien fournies. Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, les mascottes in visu sont plutôt réussies. Les attractions ne sont pas nombreuses mais aucune ne semble décevante. L’offre est encore faible, notamment en ce qui concerne…les très jeunes enfants (rien en dessous d’un mètre) et les adolescents. Sur ce dernier point, le Star Shape de Zierer prévu l’année prochaine et, qui sait, l’Impulse peut-être sur les années suivantes, viendront corriger le tir. Aucune information en revanche sur l’offre de nourriture, les restaurants étant encore vierges au moment de notre passage.
Le potentiel est bien là. Mais il reste beaucoup à faire dans les petits détails d’aménagement, sur lesquels il va falloir s’acharner, travailler, s’améliorer encore. Il faudra accepter la critique, aller de l’avant. Investir, aussi, pour passer du stade de petit parc régional à celui d’un acteur déterminant du loisir en France que le parc semble vouloir être.
Reste un point qui cristallise l’attention, y compris sur les pages de réseaux sociaux du parc : le tarif qui, pour certains parait disproportionné. 32€ pour les adultes, 25€ pour les enfants (79€ et 69€ respectivement pour les pass annuels). Même si un benchmark rapide à l’échelle de la France parait disqualifier ce prix, pourquoi ne pas prendre en compte un contexte plus restreint, à savoir celui de la région ? Le seul parc comparable aux alentours du Parc Spirou est OK Corral. Si le parc jouit d’une certaine expérience et d’un cadre plus agréable, fruit de son histoire de presque 50 ans, l’offre est-elle beaucoup plus fournie ? Pas si certain, surtout qu’un bon dark-ride, bien réalisé, peut peser beaucoup dans la balance d’une journée réussie…. Pour un prix d’entrée à 29€ et 400.000 visiteurs annuels depuis plusieurs saisons, OK Corral s’en sort très bien. Les prédictions du Parc Spirou ne paraissent pas si ahurissantes à la lumière de cette comparaison. Mais cela prouve une chose : pour dépasser ce palier, ce plafond de verre que souhaite briser le parc (1 million de visiteurs en 2024…) et sur lequel se heurtent la plupart des parcs régionaux français, il faudra proposer beaucoup plus… Mais d’ici là, laissons-leur le temps et réjouissons-nous d’avoir la chance de pouvoir suivre les aventures d’un tel projet !
Une chose, tout de même, pour terminer : les dirigeants du parc se sont félicités dans leurs différents discours de l’aboutissement du projet, rappelant avec ironie les « mauvaises langues et critiques acerbes, notamment sur les réseaux sociaux ». Certes, avoir ouvert le parc relève d’un exploit. Mais il serait malvenu d’oublier une chose : seul 10% du travail a été effectué. Le plus dur mais aussi le plus passionnant, à savoir la gestion quotidienne du parc, reste à venir.
Les visiteurs seront à présent les principaux auteurs d’une histoire qui, malgré ses 23 ans d’âge, vient tout juste de trouver son titre.