Saviez-vous qu’à une époque, Walter Bolliger et Claude Mabillard ont indirectement travaillé pour… Intamin ? Les stand-up de ces derniers possèdent d’ailleurs des rails ressemblant de très près aux rails B&M :

Les rails… Intamin de Shockwave, à Drayton Manor (Photo de Flex)

Cette curiosité s’explique en un nom : Giovanola. Tel est le nom d’une défunte entreprise suisse qui a longtemps été sous-traitant pour Intamin puis Bolliger & Mabillard, avant de se lancer elle-même dans la conception et fabrication de coasters. Petite histoire de ce chaînon manquant qui ne manquait pas d’idées !

Au départ, un petit atelier de taillanderie…

L’histoire de Giovanola Frères débute en 1888 à Monthey en Suisse. Joseph Giovanola fonda alors un petit atelier de taillanderie et serrurerie. Ces débuts bien éloignés des coasters témoignent d’une activité très diversifiée pendant toute l’existence du constructeur.

Au cours du 20è siècle, l’entreprise se taille une réputation de constructeur métallique renommé. Elle se fait remarquer dans le domaine des remontées mécaniques avec l’invention de la pince à gravité Dumur. Ce modèle connaît un franc succès dans les années 50 à 70. Mais Giovanola, c’était aussi des constructions hydrauliques ou des appareils pour l’industrie chimique !

C’est dans les années 1980 que l’entreprise entre dans le marché des attractions à sensations en devenant sous-traitant pour Intamin.

Bob à Efteling, une collaboration entre Giovanola et Intamin

Les premiers pas de Bolliger et Mabillard

En 1985 ouvre à Six Flags Great America un coaster d’un style nouveau : Z-Force. L’attraction est la première à avoir des rangées de 4 places. Mais surtout, elle possède des rails inédits développés en interne à Giovanola. L’équipe chargée du développement de ce nouveau track inclut deux ingénieurs prometteurs nommés Walter Bolliger et Claude Mabillard…

Z-Force fut relocalisé à Six Flags Magic Mountain et devint Flashback.

Dessiné avec l’aide de Werner Stengel, le parcours comporte 6 descentes en virage serré nommées « Dive Drop ».  Le profil des courbes, calculé par rapport à la ligne de cœur, est inédit et annonce déjà les tracés que développera B&M dans les années 1990.

L’année suivante, Giovanola et Intamin construisent leur premier stand-up : Shockwave à Six Flags Magic Mountain. Ce modèle reprend les trains à rangées de 4 et les rails épais vus sur Z-Force. On y retrouve également des traits reconnaissables des futurs coasters B&M comme une pré-descente et un looping traversé par une autre section de parcours.

Shockwave fut lui aussi relocalisé et prit le nom de Batman the Escape, à Astroworld. (Photo de CoasterForce)

En 1987, Walter Bolliger et Claude Mabillard quittent Giovanola à la suite d’un changement de direction à la tête du constructeur. Ils fondent alors leur propre entreprise et, initialement, se destinent à travailler en dehors du secteur des montagnes russes. C’était sans compter les demandes de Six Flags Great America, qui commande au jeune bureau d’ingénieurs de nouveaux trains pour équiper Rolling Thunder construit par Giovanola.

Satisfait, le parc américain transforme l’essai et commande cette fois un coaster grandeur nature au duo suisse. Bolliger et Mabillard conçoivent alors une version légèrement modifiée du rail qu’ils avaient développé chez Giovanola afin de respecter les lois sur propriété intellectuelle. Iron Wolf ouvre en 1990 à Great America, et c’est le premier succès pour B&M ! On connaît la suite…

Photo de ThemeParkGC

Giovanola après B&M : un sous-traitant ambitieux

Malgré le départ de leurs deux talentueux ingénieurs, Giovanola continue sa collaboration avec Intamin. Mais le fabricant réalise aussi des parties d’attractions pour d’autres donneurs d’ordre, dont B&M ! L’usine de Monthey se charge ainsi de construire les trains des stand-up B&M pendant leurs premières années.

Le rail développé pour Z-Force est réutilisé dans plusieurs projets. Giovanola fabrique pour Intamin 1994 un autre exemplaire de stand-up coaster pour le parc de Drayton Manor. Mais surtout, le constructeur est fortement impliqué dans le chantier de l’Euro-Star.


Jugé trop risqué par Bolliger & Mabillard, le projet de construire le premier grand inverted coaster transportable est alors repris par un consortium d’entreprises qui comprend Giovanola. Ces derniers fabriquent les rails, le lift et une grande partie des composants électriques. Le coaster forain est une véritable prouesse technique : un tel inverted compact, intense et prévu pour être assemblé et démonté rapidement n’a jamais été reproduit depuis ! Néanmoins Euro-Star connaît des problèmes de vibrations au fil des années et sera finalement vendu à Gorky Park à la fin des années 2000.

1998 : constructeur à part entière

À cette même période couve un conflit avec Intamin, qui développe son propre design de rails et devient de fait un concurrent pour Giovanola. En 1998, cette dernière décide alors de commercialiser elle-même ses attractions et de devenir ainsi un constructeur à part entière.

La spirale emblématique d’Anaconda, à Gold Reef City (Photo de Mathis)

Pour leur première réalisation de A à Z, Giovanola s’attaque au produit phare de leurs anciens employés : l’Inverted. Le tracé d’Anaconda s’inspire largement du modèle Batman the Ride avec ses 5 inversions dont un enchaînement Looping, Zero-G Roll, Looping. En revanche, le coaster de Gold Reef City se distingue par deux longues spirales fournies en G positifs qui deviendront la signature du constructeur. Les dires des rares passionnés ayant testé la bête sont élogieux : l’expérimenté Richard Bannister qualifie le coaster « d’extraordinaire » ! Ce sera néanmoins le seul exemplaire construit par la société.

Goliath à Six Flags Magic Mountain (Photo de Jeremy Thompson)

Mais surtout Giovanola se lance dans le marché des Hypercoasters ! Avec un client de choix : le groupe Six Flags commande ainsi deux exemplaires au constructeur suisse. Presque identiques à une spirale près, Goliath à Six Flags Magic Mountain et Titan à Six Flags Over Texas se démarquent par leur layout tout en courbes. Si ce type de tracé ne fait pas l’unanimité, la plupart s’accordent pour dire que certains virages sont particulièrement intenses – à l’image de la longue spirale en fin de parcours.

Durant cette brève période, Giovanola prend évidemment part aux salons professionnels. L’occasion pour le fabricant d’exposer des concepts pour le moins ambitieux !

Un concept de Tilt Coaster à virage présenté à l’IAAPA 2000.

La faillite d’un Titan

Pour la conception de Titan, Six Flags over Texas demande ainsi à Giovanola l’ajout d’une spirale avant les freins de mi-parcours. Le but est de mieux utiliser la vitesse disponible sur la première moitié du tracé.

La cause des ennuis financiers majeurs pour Giovanola. (Photo de Flex)

Problème : Giovanola sous-évalue en premier lieu les quantités d’acier nécessaires pour soutenir cet élément supplémentaire. La structure massive de la spirale de Titan entraîne un surcoût de plusieurs millions de dollars pour l’entreprise ! L’erreur d’appréciation condamne la section attractions de Giovanola alors déjà dans une situation financière délicate.

Le site désormais délaissé de l’usine Giovanola

Un autre évènement, tragique, précipite la chute du constructeur. En décembre 2000, le puits blindé du Cleuson-Dixence (une ville suisse) éclate, entrainant la mort de 3 personnes. L’accident entache durablement l’image de Giovanola qui avait participé à la réalisation du blindage. Le carnet de commandes se désemplit et en 2004 Giovanola Frères se déclare en faillite, clôturant une existence de 116 ans.

Que retenir de Giovanola ?

Photo de Flex

Giovanola a joué un rôle discret mais décisif dans l’industrie des montagnes russes. C’est avec le constructeur de Monthey que Walter Bolliger, Claude Mabillard et Werner Stengel ont amorcé leur fructueuse collaboration. L’entreprise sort tardivement de l’ombre et réalise des attractions prometteuses comme Anaconda à Gold Reef City. Giovanola aurait-il pu devenir un concurrent sérieux pour B&M ? Des erreurs de gestion et une faillite ont soudainement mis fin à ces ambitions. L’histoire de Giovanola montre aussi la dure réalité d’une industrie en mouvement. Parfois, créer des montagnes russes de qualité ne suffit pas pour perdurer !

Merci à Allan Martet son aide dans le travail de recherche de cet article.
Passages extraits et traduits de l’article « The Greatest Innovation in the 1990’s: A Prelude to our look at Inverted Coasters », ParkVault.

Coaster Hipster
Mars 2018