Depuis Février 2022, Aymeric Desphelippon, Sébastien Challard et Emeric Long proposent leurs services d’ingénierie avec leur société E&S Rides. Un entretien approfondi pour connaître les activités de ce nouvel acteur français sur le marché des attractions.
Aymeric Desphelippon (gauche) et Sébastien Challard (droite) à l’IAAPA Expo Europe 2022 de Londres
Bonjour Aymeric et Sébastien et merci d’avoir accepté cet échange. Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer pourquoi vous être lancés dans la conception d’attractions ?
Passionnés par l’industrie du loisir et particulièrement par les montagnes russes, il s’agissait de la suite logique dans notre parcours professionnel et entrepreneurial.
Le Tigre de Sibérie au Pal
Aymeric : J’ai découvert cette passion âgé de 6 ou 7 ans après un tour sur le Tigre de Sibérie. Mon intérêt pour l’industrie des parcs d’attractions s’est consolidé avec la découverte de Rollercoaster Tycoon 2. En 2014, j’ai commencé à utiliser NoLimits2, un logiciel de conception de montagnes russes. J’ai acquis des compétences
en conception. J’ai envisagé une carrière dans le design industriel, mais les conseillers d’orientation de l’époque ne connaissaient pas ce domaine.
J’ai réalisé mon stage au parc Le PAL, où j’ai rencontré mon futur associé, Sébastien Challard. [Il y] effectuait également un stage à ce moment-là.
BTS Conception de Produits Industriels
Après le lycée, j’ai décidé de poursuivre mes études en obtenant un BTS Conception de Produits Industriels. […] Il n’existait pas de formation spécifique pour la conception de montagnes russes. […] En décembre 2018, j’ai été contacté par Reverchon et embauché en juillet 2019 à la fin de ma Licence Professionnelle.
J’ai travaillé chez Reverchon pendant environ 2 ans et demi, acquérant une précieuse expérience sur le terrain. Depuis ma rencontre avec Sébastien, nous avons eu pour objectif de créer notre propre entreprise. En novembre 2021, nous avons pris la décision de démissionner de Reverchon pour créer notre propre société, E&S Rides, en
collaboration avec Emeric Long.
Des compétences polyvalentes pour des journées variées au travail
Sébastien : Formation d’ingénieur mécanique à l’université de technologie de Troyes. J’ai eu la chance de faire mes stages de 6 mois au parc d’attractions Le Pal et à Holovis. [NDLR: Holovis est une entreprise qui s’occupe notamment des projets média à Ferrari World : storytelling, projections, vidéos, light-shows, sons…
Passionné par les parcs d’attractions depuis 14 ans – exactement depuis que j’ai ridé Silver Star le Vendredi 1er Aout 2008), j’ai toujours voulu travailler dans ce milieu […] Après avoir été diplômé j’ai passé presque 4 ans au sein de la société Reverchon.
Dans ce contexte, posséder des compétences polyvalentes s’avère être un atout majeur – surtout au sein de petites structures. En effet, notre travail implique de couvrir l’intégralité des phases d’un projet. Il faut être prêt à passer d’une journée où l’on conçoit des plans techniques au bureau à une autre où l’on se rend chez un partenaire pour vérifier la qualité de la fabrication et s’assurer de la facilité d’assemblage, voire à être sur le chantier.
Connaître la mécanique, les aspects électriques et les normes
Cette variété d’activités est stimulante et nous oblige à maîtriser chaque aspect du projet pour le mener à bien. Il est essentiel de détenir des connaissances complètes en conception. De suivre l’évolution du projet, y compris ses aspects mécaniques, électriques et normatifs. Pour ainsi formuler des demandes précises et collaborer étroitement avec nos partenaires.
Qualité, sécurité, réactivité et flexibilité !
Pourquoi s’être positionnés sur le segment très concurrentiel des montagnes russes familiales ?
Nous avons remarqué une demande croissante pour les montagnes russes familiales en Europe, notamment en France. Notre objectif est de pénétrer un marché très concurrentiel. [Nous avons] d’un côté des fabricants allemands et néerlandais proposant des prix élevés, et de l’autre des fabricants italiens et turcs offrant des tarifs plus abordables.
Notre démarche consiste donc à nous positionner sur un créneau médian. [Là où] nous pouvons offrir des montagnes russes de qualité, tout en étant plus accessibles en termes de prix que nos homologues allemands et néerlandais. Proposer des parcours sur-mesure à des tarifs moins élevés que les modèles standard de nos concurrents les plus chères, en conservant une qualité similaire.
Pouvez-vous décrire les forces G à bord du Famility Coaster ?
Le Famility Coaster est une montagne russe familiale spécialement conçue pour répondre aux réquisitions de la Classe 3 de la EN 13814. En d’autres termes, les forces G verticales ressenties varieront entre 0.2G et 3.5G.
Avec quelles entreprises collaborez-vous pour fournir vos services d’ingénierie ?
Nous collaborons avec diverses entreprises pour fournir nos services d’ingénierie. Dans notre domaine, il est essentiel de s’entourer de professionnels compétents, car la réactivité et la qualité sont des éléments cruciaux. Le secteur étant relativement restreint, tout le monde se connaît.
Depuis notre projet à Kingoland, nous avons suscité un fort intérêt pour nos compétences en matière de freinages magnétiques, même pour de grands parcs d’attractions. Actuellement, nous avons plusieurs projets en cours impliquant des freins magnétiques variés.
E&S collabore avec 3D solutions pour le chassis de ses nacelles d’attractions. (Photos : Coppel Maintenance)
En ce qui concerne la fabrication, nous externalisons cette partie de notre processus, car nous n’avons pas les moyens de produire toutes nos conceptions. La norme EN13814, qui régit la conception et la fabrication des attractions, exige des processus stricts de fabrication. Cependant, nous accordons une grande importance à superviser étroitement tous nos projets de fabrication pour garantir la qualité documentaire et le respect des dimensions des pièces, assurant ainsi un assemblage correct.
Les plans de fabrication que nous fournissons à nos sous-traitants incluent toutes les exigences documentaires de la norme EN13814. Nous collaborons étroitement avec nos partenaires pour mettre en place un suivi documentaire et une traçabilité des pièces. La traçabilité des pièces, combinée à une documentation approfondie, revêt une importance capitale pour assurer la durabilité de nos installations.
Nous travaillons également en étroite collaboration avec des électriciens et des automaticiens possédant une solide expérience dans l’industrie des parcs d’attractions, ainsi qu’avec un bureau de calcul reconnu dans ce secteur.
Par ailleurs, nous collaborons avec d’autres fournisseurs pour l’approvisionnement en pièces du commerce. Nous attachons toujours une grande importance à établir des relations solides avec nos fournisseurs, visant à les considérer comme de véritables partenaires.
Quelles sont les synergies du partenariat entre E&S et Atelier Artistique du Béton ?
Le partenariat avec Atelier Artistique du Béton (AAB) a été une étape cruciale pour mettre en lumière nos concepts de montagnes russes. Cela a également offert à AAB l’opportunité d’incorporer notre circuit dans une thématique élaborée, mettant en avant à la fois leur expertise et notre produit. En somme, ce partenariat nous a véritablement propulsés. Nous remercions d’ailleurs Nicolas Feldkircher et Lionel Heiwy pour nous avoir offert cette chance.
Comment procédez-vous pour moderniser une attraction existante ?
Le processus de modernisation d’une attraction existante peut varier en fonction des besoins spécifiques, mais en général, cela commence par le client qui nous contacte avec une demande d’amélioration. Ensuite, nous planifions une visite sur place pour évaluer l’attraction existante. À partir de là, nous proposons plusieurs solutions pour répondre au mieux aux besoins du client. Nous avons souvent l’occasion de suggérer des améliorations auxquelles le client n’avait pas pensé, ce qui permet d’optimiser davantage différents aspects de l’attraction.
Quels sont généralement les principaux changements à entreprendre pour remettre une attraction aux normes ?
La nécessité de modifications dépend largement de l’âge de l’attraction, ce qui engendre une diversité de changements potentiels. Les exigences des organismes de contrôle sont également un facteur déterminant. L’objectif est de satisfaire tous les intervenants, qu’il s’agisse des propriétaires du parc, des forains ou des organismes de contrôle. Ce processus est souvent très exigeant et a été au cœur de plusieurs de nos projets depuis la création de notre entreprise, ce qui signifie que nous ne manquons jamais de défis.
Travailler sur des réhabilitations présente un intérêt particulier sur le plan technique, car il faut trouver des solutions innovantes pour s’adapter à l’existant, ce qui sort de l’ordinaire. En revanche, la conception de nouvelles attractions est plus aisée, car nous pouvons planifier tous les éléments en amont et optimiser le produit dans son ensemble. Nous nous efforçons toujours de proposer des solutions techniques différentes de celles des autres constructeurs, qu’il s’agisse de réhabilitations ou de conceptions nouvelles, afin de nous distinguer.
Trouver des alternatives pour améliorer les opérations
Pour donner quelques exemples de changements majeurs nécessaires pour mettre une attraction aux normes, il est essentiel de réévaluer et de renforcer les points faibles de la structure, mais cela peut également concerner les opérations. Si une solution technique ne fonctionne pas correctement, nous sommes en mesure de trouver des alternatives qui améliorent considérablement les opérations. Parfois, il est nécessaire de remplacer l’armoire électrique et de refaire entièrement le programme.
Dans tous les cas, nous cherchons à apporter des améliorations pour faciliter les opérations, comme l’ajout d’un écran affichant les informations de vitesse, la localisation des trains, et une description précise des pannes pour orienter au mieux les techniciens de maintenance vers la résolution du problème, afin de garantir le redémarrage en sécurité de l’attraction.
Comment avez-vous étudié la faisabilité pour ajouter une zone de blocs sur Apollo Steamrocket à Kingoland ?
Le client avait un besoin crucial d’augmenter la capacité d’Apollo Steamrocket, tout en améliorant la fiabilité de ses freins et en réduisant la forte décélération sur la chaîne frein à la fin du parcours. Pour ce faire, nous avons envisagé l’option d’ajouter une troisième voiture au circuit. Elle a été achetée d’occasion par le parc.
En examinant le circuit, similaire à de nombreux Zyklon de Pinfari, nous avons constaté que les zones de freins étaient relativement courtes. L‘arrêt était très brusque. Pour respecter les normes de décélération, nous avons réalisé qu’une plus grande distance de freinage serait nécessaire pour immobiliser le véhicule. C’est pourquoi nous avons décidé de placer la zone de freinage de mi-parcours (MCBR) juste avant la deuxième hélice du circuit. Là où nous avions le plus d’espace.
Par la suite, nous avons conclu qu’une modernisation complète du système de freinage était nécessaire. Ce pour garantir la fiabilité ainsi qu’une refonte totale de l’armoire électrique et donc de l’automatisme de l’attraction. C’est ainsi que nous avons choisi d’adopter la technologie des freins magnétiques, qui ont été utilisés pour créer deux des zones de blocs du circuit.
Deux nouveaux patins mécaniques de freinage
Comme nous le savons, un frein magnétique ne suffit pas à arrêter un train de montagnes russes. Par conséquent, à la fin de la zone de MCBR, nous avons installé deux patins mécaniques qui permettent de bloquer le véhicule en cas d’urgence. L’arrêt d’urgence s’effectue grâce à 7 freins magnétiques qui ralentissent la voiture jusqu’à une vitesse proche de 0 m/s. Si la voiture continue de bouger lentement par gravité en raison de la pente, elle finira par se bloquer sur les patins. Le même principe de freinage est appliqué sur les trois zones de « trim brake » suivant les MCBR.
Ensuite, la voiture est freinée par le frein final. Cette zone est particulière car la pente d’origine du rail est presque de 0 degré. Ainsi, si la voiture s’arrête là, elle ne redémarre pas par gravité. Nous avons donc mis en place un système de calcul de la vitesse. Deux capteurs en amont de la zone mesurent la vitesse de la voiture. [afin de maintenir les freins magnétiques nécessaires au freinage en position relevée. De cette manière, la voiture s’arrête toujours sur l’une des trois roues d’entraînement du frein final, et elle est ensuite dirigée vers la gare.
Ce système de calcul est également employé sur le trim brake situé avant le dernier virage du parcours. Il permet ainsi de réguler la vitesse à laquelle les véhicules entrent dans le frein final. [Sont mesurés] des facteurs tels que la charge de la voiture ou l’humidité du rail pour maintenir des vitesses uniformes pour l’ensemble des nacelles. Cette optimisation garantit un dispatch [c-à-d : un départ en gare] optimal entre les nacelles.
Grâce à cette modification, l’objectif initial du parc a été atteint, avec une augmentation de 50 % du débit.
Nous avons également optimisé les opérations
en introduisant un système de roues d’entraînement qui déplace automatiquement les voitures depuis la zone de freinage finale jusqu’à la zone d’embarquement et de débarquement. Un système de blocage qui immobilise le wagon pendant l’embarquement et le débarquement des passagers a aussi été ajouté. Cette amélioration a grandement satisfait les opérateurs, qui ne sont plus contraints d’aller chercher les voitures manuellement, comme cela était le cas avant les modifications. Ainsi, ils peuvent désormais se concentrer davantage sur la gestion de la gare. Ils peuvent garantir une meilleure sécurité pour les visiteurs.
Nous avons baptisé cette innovation Speed Controller Magnetic Brake. Nous avons également été nommés aux Park World Excellence Awards pour cette création. Elle se distingue nettement des freins magnétiques conventionnels proposés par d’autres fournisseurs. Notre système est capable de s’adapter à de nombreux types de rails bi-tubes existants, présentant des espacements non uniformes et des défauts de parallélisme entre les traverses, ce qui le rend particulièrement utile pour les projets de réhabilitations.
Septembre 2023
Propos recueillis par Philippe-Minh Nguyen
Remerciements Aymeric Desphelippon et Sébastien Challard