Depuis quelques années, les petits parcs français font de la résistance aux mastodontes en ne cessant d’investir. L’exemple même est celui de Fraispertuis City qui est en train de s’offrir pour cette année, une free fall Intamin avec quatre positions différentes.
Parmi tous ces parcs régionaux, on trouve Dennlys Parc. Situé dans le Pas-de-Calais, à Dennebroeucq, le parc ne cesse d’investir dans de nouvelles attractions au fil des saisons. Free fall, disk’O, coaster, il y en a pour tous les goûts. De ce fait, pourquoi ne pas aller à la rencontre de l’homme derrière tout ça ?
Le rendez-vous est pris pour ce jeudi 13 avril 2017. Fréquentation, investissements pour la saison 2017, futurs projets, relations avec les autres parcs : tous les sujets ont été abordés.
Fréquentation du parc
Bonjour Christian Crunelle. Merci d’avoir accepté notre demande et de bien vouloir répondre à nos questions.
Christian Crunelle : Bonjour. Pas de problème, on peut y aller, je suis prêt.
Avant de commencer, le site Coasters World et moi-même vous présentons nos sincères condoléances pour le décès de votre père (Gérard Crunelle, ancien directeur du parc et père de Christian Crunelle, est décédé le 7 avril 2017 à 84 ans). Il était fier de l’évolution du parc ?
Très fier. D’ailleurs, malgré le fait qu’il m’avait passé le flambeau, il était toujours les parages. Il venait voir les chiffres de fréquentation, si il n’y avait pas de problème particulier. Il avait aussi un rituel. Lorsque le parc fermait ses portes, il venait s’installer en terrasse pour boire sa bière tout en contemplant le parc.
Du chemin a été parcouru depuis l’ouverture du parc en 1983, notamment en terme de fréquentation. Cela fait deux années que vous battez votre nombre de visiteurs. Vous vous y attendiez ?
Pas vraiment. A chaque fois, on a l’espoir de réaliser tel ou tel chiffre de fréquentation mais dans ce domaine, on ne peut rien prévoir. On est totalement dépendant de la météo. L’année dernière, nous avons eu du très beau temps et cela nous a permit d’atteindre les 227 000 entrées. Si cette année, on a du mauvais temps au mois d’août, je suis sûr que l’on ne va pas égaler le chiffre de 2016.
Si je comprends bien, le mois d’août est important pour vous ?
Oui, très important. Cette période représente 50% de notre nombre de visiteurs annuel. D’ailleurs, l’année dernière, c’est au mois d’août que nous avons eu des pics de fréquentation atteignant les 6 000 visiteurs sur une journée. Cependant, c’était très dur à gérer tout ce monde.
Vous avez un seuil maximal de fréquentation ?
A partir de 5 000 visiteurs dans le parc, les choses se compliquent (rires).
Investissements pour la saison 2017
Passons si vous le voulez bien aux travaux réalisés dans le parc cet hiver. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a été entreprit ?
Cet hiver, nous avons eu deux zones d’action. La première se trouvait au fond du parc où nous avons installé notre nouvelle attraction, Desperado 4D, à la place du Manoir Hanté. La deuxième était la zone de restauration au centre du parc où nous avons tout repensé en rajoutant une thématisation médiévale.
Comment vous ai venu l’idée d’un cinéma 5Di ?
Je suis allé tester l’attraction à Fraispertuis et au parc du Bocasse et j’ai tout de suite accroché. Du coup, j’étais fortement intéressé, surtout qu’il n’y en avait aucun exemplaire dans la région. En plus, je savais où j’allais placer l’attraction. Le Manoir Hanté était un cache misère qui permettait de camoufler nos ateliers et il était temps d’arrêter le spectacle de magie. Malgré les derniers événements, l’attraction a ouverte à temps mais il manque encore quelques détails comme la file d’attente pour canaliser la foule ou encore le stand photo. Pour l’instant, on va attendre la fin des vacances scolaires (23 avril) pour pouvoir finir cela tranquillement.
Le réaménagement de la nouvelle zone de restauration a du être un sacré chantier aussi, non ?
Oh que oui ! (rires). On a commencé le 18 octobre 2016 et il y avait beaucoup à faire. On a travaillé avec la société belge Giant (entreprise spécialisé dans le béton sculpté). Ils ont fait un sacré travail, je ne suis pas déçu de leur prestation. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à croire que tout cela n’est que du béton. Il manque encore la fontaine au centre de la place mais les ouvriers sont dépassés vu qu’ils ont plusieurs chantiers en cours, notamment celui à Bagatelle. Ainsi, dès qu’ils auront plus le temps, ils viendront peaufiner les petits détails. C’est l’histoire de quelques jours.
Tout cela a du vous coûter une sacrée somme. Pouvez-vous nous dire le coût de tous ces investissements ?
Pour l’ensemble, on est aux alentours des deux millions d’euros mais la somme n’est pas finale. Le cinéma 5Di nous est revenu à 400 000 euros, le reste du budget est parti dans la nouvelle zone de restauration. Alors, certes c’est une sacré somme mais quand je vois le travail réalisé, je me dis que c’est de l’argent bien dépensé.
Futurs projets du parc
Même si l’on connait la réponse mais avez-vous déjà des projets pour la saison prochaine ?
Oui. Beaucoup même (rires). On aimerait bien retaper la zone de restauration Denno Burger au fond du parc comme on a fait cette année. L’autre projet est de thématiser la Crazy River (raft ride Soquet) qui fait gros tas de ferraille. Mais, le problème est toujours le même : celui de la météo qui va nous permettre ou non de faire un bon chiffre d’affaires.
Pas de nouvelle attraction ?
On verra pour ça car il me faudrait plus de terrain.
Le problème avait déjà été évoqué lors de la précédente interview en 2013 et au vue de votre réponse, le problème ne semble pas résolu ?
Non, on galère toujours autant sur ce sujet, pourtant ce n’est pas les terrains qui manquent. Mais ici, les propriétaires sont fort attachés à leurs terres et se les lègue de génération en génération. C’est pour cela qu’il est si difficile d’en récupérer. Là, on a de l’espoir puisque l’on pourrait récupérer un terrain d’environ 8 000m² derrière le Nitro.
Et si vous obtenez ce terrain, quelle attraction installeriez-vous ?
Un flume car c’est une attraction essentielle dans un parc. Après, je ne dirai pas non à un splash battle ou un dark-ride. Dans tous les cas, cette nouvelle attraction sera thématisée. Pour nous, la thématisation est devenue importante. Elle a pour fonction de faire rêver le visiteur, de lui faire oublier, le temps d’une journée, ce monde terne qui nous entoure.
Vous songez à acheter un nouveau coaster ?
Oui, aussi. Vous savez, on est des fans avant d’être directeur. De toute façon, pour faire ce métier, il faut aimer tout ce qui touche aux parcs et les coasters en font partis. J’ai beaucoup apprécie Anubis : The Ride à Plopsaland mais quand j’ai vu la consommation électrique nécessaire au launch, j’ai tout de suite reculé (rires). Timber Drop à Fraisperstuis City m’a particulièrement marqué aussi. C’est un bon modèle fluide prenant peu de place au sol mais je ne suis pas fan de S&S. En revanche, j’aime bien les petits modèles compacts de Maurer.
Comment vous choisissez vos attractions ?
Généralement, c’est à l’EAS. Tous les ans, je m’y rend pour voir ce qu’il s’y fait et aussi pour parler avec les différents constructeurs. A chaque fois, avant de m’y rendre, je dis à tout le monde que je n’achèterai rien et à chaque fois je repars avec quelque chose (rires). Pour Nitro, tout s’est passé à l’EAS d’Amsterdam en 2009 sur le stand Preston & Barbieri. Ils m’ont présenté le projet avec quelques croquis qui m’ont plu. Quinze jours plus tard, j’ai vu les plans définitifs et j’ai tout de suite signé. L’avantage avec les prototypes, c’est leurs prix plus avantageux.
D’ailleurs, comment se passe le financement de vos projets ?
J’ai ma technique : j’achète et ensuite je vais voir mon banquier en disant « J’ai acheté telle attraction et il me faut autant » (rires).
Au niveau du calendrier, vous prévoyez des journées spéciales comme des nocturnes l’été ou une période spéciale Halloween ?
Pour les nocturnes, non. Ça serait trop compliqué à mettre en place, notamment avec le roulement des équipes. Pour Halloween, on y pense. Si l’on se lance dans ce projet, il faudra investir dans l’éclairage du parc. Pour l’instant, seul la nouvelle zone de restauration en ai équipé. Mais pourquoi pas mettre ça en place pour la saison prochaine.
Relations avec les autres parcs
Alors, Dennlys Parc se trouve dans une région avec un bon nombre de parcs aux alentours comme Bagatalle, Plopsaland, la Mer de Sable. Comment se passe la relation avec les directeurs des autres parcs ?
Très bien. On est tous à se donner des nouvelles. Par exemple, François-Jerôme Parent (directeur de Bagatelle) et moi-même, nous nous appelons tous les jours pour savoir comment s’est passé la journée de l’autre. On se taquine. Dimanche dernier, pour la réouverture du parc, on s’est appelé à 11h pour faire un point sur la fréquentation. Il était à 700 et moi à 800, du coup je le charrie un peu. Sinon, on est tous en contact, que ça soit le parc du Bocasse, Festyland, le parc Ange Michel ou encore Fraispertuis City. D’ailleurs, on a tous les yeux rivés sur lui en ce moment avec l’arrivée de Golden Driller.
Vous suivez les nouveautés des uns et des autres aussi ?
Oui bien sûr et on les teste aussi. Récemment, je suis allé voir Silver Wings à Bagatelle que je n’ai pas voulu tester. C’est trop sensationnel pour moi (rires). Mais cette année, c’est Patrice Fleurent nous a tous impressionnés avec sa free fall Intamin. C’est un joli coup de sa part et j’espère de tout cœur qu’il va l’ouvrir rapidement et que le succès sera au rendez-vous.
Et avec les plus gros parcs, ça donne quoi ?
J’ai des mauvais rapports avec la Compagnie des Alpes. Pour moi, ce ne sont pas des vrais passionnés de parc, ils sont juste dans des bureaux. Quand je vois ce qu’ils ont fait à Walibi Belgium avec leur drôle de théma. Le seul parc du groupe qui a l’air de bien repartir, c’est Walibi Rhône-Alpes avec la zone Timber. Sinon, j’ai déjà rencontré Roland Mack à New-York. Malgré qu’il soit à la tête d’Europa Park, il est très abordable. Même constat pour Steve Van den Kerkhof (directeur du groupe Plopsa) avec qui j’ai pu discuté lors de l’EAS 2015 en Suède.
Même si rien n’est encore fait, vous croyez au projet d’Heroic Land ?
Absolument pas. Ils n’ont pas le financement nécessaire pour tenir leurs objectifs, notamment de fréquentation. Si le projet se fait, cela va être un flop et ça va se terminer comme Mirapolis. L’avantage pour nous, c’est que l’on pourra racheter leurs attractions. Cette histoire m’avait attiré les foudres de la région. Lorsque le projet a été présenté, la Voix du Nord m’avait contacté ainsi que François-Jérôme Parent et Steve Van den Kerkhof pour donner notre avis sur le projet. Ces deux derniers sont restés muets et j’ai été le seul à leur répondre. Quelques jours après, le journal avait publié en Une « Calais : le propriétaire de Dennlys Parc ne croit pas au projet Heroic Land« .
Questions diverses
Terminons cette interview par quelques questions d’ordre un peu plus général. Quels sont les rides qui vous ont le plus plu ces derniers années ?
Il y en a beaucoup. Je suis tombé amoureux d’Helix à Liseberg. On a été le tester lors de l’EAS de 2015. Ce qui était bien, c’est que le parc était fermé lorsque l’on était là. Du coup, à peine le tour terminé, on changeait de place et on était reparti pour un tour (rires). J’ai bien aimé Blue Fire à Europa Park mais pas Silver Star, trop vibrant. Pour les plus petites modèles, il y a Alpina Blitz à Nigloland et Anubis : The Ride à Plopsaland.
Au niveau des parcs ?
Pour moi, le meilleur parc reste Europa Park. C’est le parc par excellence, il y en a pour tous les goûts. Vraiment, ce parc est la crème des crèmes. Sinon, il y a deux autres parcs que j’admire beaucoup pour leur talent de magiciens : Phantasialand et Liseberg. A chaque fois, je suis bluffé par leur talent pour installer de nouvelles attractions dans des mouchoirs de poche. J’ai été bluffé par Chiapas mais je pense que ça va être pire quand j’irai rider Taron en fin de saison.
Et au niveau des constructeurs ?
Personnellement, je trouve que Zamperla est en train de devenir un bon constructeur. Ils sont plus impliqués dans leurs créations, notamment pour leurs coasters. Je ne suis pas déçu de Soquet aussi. Pour les autres, Vekoma est en train de bien rebondir et pour les deux autres mastodontes, il n’y a pas grand chose à ajouter. C’est sûr, B&M reste la Rolls Royce des coaster mais ça demande beaucoup de place. Imaginez qu’avec la surface actuelle du parc (2,5 hectares) je ne peux pas caser un Oziris (rires).
Vous pensez quoi de la réalité virtuelle dans les rides ?
Je suis absolument contre. Si c’est pour se couper du monde, autant rester chez soi. Et puis même, ça deviendrait trop facile pour les parcs. Il n’y a plus qu’à installer un ride dans un coin sans thématisation et de mettre ces fameuses lunettes. Pour un ride dont l’intérêt est limité, ma foi, pourquoi pas mais pour les autres rides, je n’en vois pas l’intérêt.
Vous consultez les sites/forums de fans ?
Oui, tous les matins, c’est mon rituel (rires).
Dernière question, comment résumeriez-vous la vie d’un directeur de parc comme vous ?
Je vis parc, je mange parc et je dors parc (rires). Et quand on part en vacances, on va dans des parcs. Ça énerve ma femme de temps en temps mais rien de méchant. En tout cas, la relève est assurée avec une de mes filles et de mon beau-fils. Il est encore plus mordu que moi dans le domaine des parcs, ça s’annonce prometteur pour le futur.
Merci beaucoup monsieur Crunelle de m’avoir reçu et d’avoir pris le temps de répondre aux nombreuses questions.
Le plaisir était pour moi. Vous revenez quand vous voulez.
Propos recueillis par Gleap
13 avril 2017
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